Quel est pour vous le comble de la misère?
Ceux qui n'ont jamais été faméliques ne s'en doutent peut-être pas, mais, le comble de la misère, c'est d'être privé de manger. Pareille privation rend faible au point d'interdire tout : la possibilité créatrice, l'amoure; le sentiment de béatitude.
Où aimeriez-vous vivre?
Je suis très content de vitre à Montréal dont je ne suis pas sorti depuis des années. J'aimerais être millionnaire (ou assez débrouillard) pour vivre quelque temps dans chaque pays du monde, mais je reviendrais toujours à Montréal. Vivre deux mois par année à New York, deux mois à Paris, me sembleraient fort souhaitables, mais il me faudrait six mois de Montréal. J'ajoute que la privation de la campagne m'affecte; mais cette situation anormale est réparable.
Votre idéal de bonheur terrestre?
Créer les plus grands chefs-d'œuvre, de tous les temps et faire l'amour surabondamment. Il m'apparait indécent de mourir sans avoir eu mille maîtresses.
Pour quelles fautes avez-vous le plus d'indulgence?
J'ai ma morale à moi, bien sûr. Ce qui est considéré comme faute traditionnellement ne l'est pas nécessairement pour moi. L'usage sexuel sous n'importe quelle forme m'apparaît toujours louable, mais il ne s'agit évidemment pas d'une faute. La distraction, le manque de ponctualité me semblent toujours excusables, mais s'agit-il bien de fautes? J'ai de l'indulgence pour la vanité, mais salement chez les êtres de talent. Pour tout ce qui est faute réelle, selon mon code à moi, je n'ai pas d'indulgence.
Votre qualité préférée chez un homme?
Par-dessus toute chose, et en tout, j'estime l'authenticité. Au contact des hommes sincères et d'une richesse intérieure profonde, l'admiration est facile et la collaboration ne pose pas de problème.
Et chez la femme?
J'estime le plus chez la femme ce que l'homme ne peut pas être; quitte à friser le pléonasme, je dirais que ma qualité préférée chez la femme c'est la féminité.
Mais toute femme est unique. Ce que l'une apporte, elle est la seule à pouvoir l'apporter. Voilà pourquoi la monogamie m'apparait comme une aberration incompréhensible.
Ma partialité envers toute ce qui est féminin ne peut être mis en doute. J'aime la générosité, l'espièglerie, le pathétique, la sensualité, la beauté, le charme, le pouvoir d'éblouissement, la loyauté, l'indépendance, et tout et tout.
Votre vertu préférée?
L'obstination.
L'être vraiment fort est celui qui ne se laisse pas essentiellement détourner de sa voie propre par quelque obstacle que ce soit.
Votre occupation préférée?
Ecrire.
Qui auriez-vous aimé être?
Je considère que mon apport personnel est suffisant pour que je me sente justifié d'exister par moi-même.
S'il m'avait fallu coute que coute être un autre, je crois qu'il ne m'aurait pas déplu d'être Borduas (ou peut-être Lautréamont). Mais alors, je ne serais plus en vie.
A la rigueur, je pourrais rêver d'être monsieur Trudeau... mais, je le proclame, seulement pour bénéficier de la compagnie de Mlle Louise Marleau.
En vérité, je ne voudrais pas être un autre que moi-même.
Le principal trait de votre caractère?
L'implacabilité.
J'entends le mot autant dans un sens positif que dans un sens négatif.
Je crois qu'il faut se livrer sans retour à la haine comme à l'amour.
Soit dit en passant, ma propension à la revanche scandaliserait Monte-Cristo.
Ce que j'apprécie le plus chez mes amis?
La compréhension (même à travers l'ambiguïté et quelque obscurité).
J'en arrive à l'âge où, longtemps méconnu et incompris et dénigré, j'ai besoin de goûter à un peu d'admiration. J'apprécie la franchise, l'absence de ruse, la spontanéité.
Votre principal défaut?
Mon inhabilité à maîtriser les choses matérielles.
J'aimerais pouvoir pétrit toute matière avec abandon et adresse ingénue.
Les tâches utilitaires me rebutent.
Votre rêve de bonheur?
Mettre au monde des objets d'une sensibilité si fluide, si émue, si déchirante, si phénoménalement une qu'ils bouleverseraient vitalement ceux sui en prendraient connaissance.
Je serais fermement heureux de jouir de la tendresse du plus grand nombre de femmes transcendantes possible.
Quel serait votre plus grand malheur?
De devenir en même temps sourd et aveugle.
Je serais ainsi privé de contacts artistiques indispensables à la compensation de l'usure subie par la banalité quotidienne.
Ce que vous voudriez être?
Je suis le plus grand poète du Canada... et peut-être de l'Amérique du Nord.
Je vais maintenant essayer de donner tout l'effort essentiel pour devenir d'abord le plus grand poète du vingtième siècle, et ensuite le plus grand poète de tous les temps.
J'ai encore quelques années devant moi pour poser la main sur cette utopie.
Quels sont vos héros de roman préférés?
Mes goûts personnels peuvent changer incessamment car j'ai de plus en plus tendance à ma méfier du masochisme (ce qui n'implique pas une condamnation des masochistes). J'ai toujours eu une prédilection pour les héros romantiques (ceux de Victor Hugo, par exemple), parce qu'ils sont généreux, désintéressés, farfelus et tendent au sublime. J'ai longtemps admiré le prince Muichkine mais cette admiration serait vraisemblablement en baisse actuellement. Bien entendu, Vautrin est incomparable. Mon vrai héros, c'est le SURMALE de Jarry.
Quel est votre personnage historique préféré?
Marat. Il est à la fine pointe de la conscience de son époque. Il est éminemment progressiste, et personne ne le dépasse en fore active. J'admire aussi son dénuement de toute sentimentalité.
Vos héroïnes dans la vie réelle?
Mon attitude envers la femme a beaucoup évolué au cours de ma vie; j'ai commencé par être réceptacle de "l'amour fou" et je suis actuellement "polygame libertaire". Sur dix femmes que je rencontre, neuf me plaisent. Je désignerais Marie-France Boyer comme une femme excellemment plaisante; et aussi Nicole Bisaillon. Mais je m'aperçois que je parle ici de la quintessence de la féminité plutôt que d'héroïsme. J'aime les femmes qui sont capables de bravoure, qui déploient un grand courage... mais aucun nom ne me vient à l'esprit dans ce sens au moment où je réponds au questionnaire. (Pour être complet, je dois ajouter que j'aime aussi les poltronnes qui ont une belle croupe.)
Mais, à la seconde immédiate, où je vais passer à la ligne suivante, me surgit le souvenir de la Passionaria. N'était-ce pas une femme héroïque du plus pur carat?
Mon héroïne personnelle demeure Muriel Guilbault... mas elle s'est suicidé, elle n'est plus sur cette terre telle que nous l'avons connue. Elle existe toujours, bien sûr, puisque la matière se transforme mais est indestructible. Muriel est un fragment de myosotis ou de poirier.
Vos héros dans la vie réelle?
Socrate, Spartacus, Etienne Dolet, Galilée, Cavelier de Lasalle, Lemoyne d'Iberville, Chénier, Bakounine, Nietzsche, Bonnot, Einstein, René Char, Alain Bombard, Jérôme Gauthier. Ce sont tous des hommes fort dépareillés à la vérité, qui allient le courage physique au courage intellectuel.
Vos héroïnes dans la fiction?
Dans la fiction? Je dirais plus volontiers dans la littérature.
Les héroïnes de Breton sont évidemment les plus finement conçues de toutes. Nadja, Jacqueline, Mélusine. Je savoure aussi sa façon de traiter de la simple Blanche Dervel.
Je crois aussi (au delà de la fausse modestie comme de la forfanterie) que ma propre héroïne, celle de mon roman Beauté baroque, est difficile à concurrencer en intensité et en existence.
Les héroïnes de Dostoïevski ont aussi fières allure.
Et pourquoi pas mentionner Nana.
Vos héroïnes dans l'histoire?
Hallucinée ou non, Jeanne d'Arc est difficile à mettre de côté.
Il faut aussi admettre une vibration de cœur à l'égard de notre petite Madeleine de Verchères. Et le souvenir de Joan Fox (qui s'est suicidée pour la paix) continue de me soutirer des larmes.
Votre peintre favori?
Borduas.
Il ne bénéficie évidemment pas du renom international qu'il mérite et qu'il acquerra inéluctablement. Sa peinture est la plus authentique du vingtième siècle et demeure la plus prophétique.
Il reste chez Bonduas un inconnu à inventorier que ne possèdent pas les grands peintres en vogue de l'heure qui se contentent pour la plupart, sans apporter vraiment une pensée théorique originale, de surimposer quelques modifications de détails aux découvertes de devanciers fort originaux.
Borduas, lui, n'est pas un technicien étincelant, il est un magicien du sensible, qui improvise ses prodiges. On va finir par saisir que l'apport universel de Borduas pour notre époque est aussi décisif que celui de Cézanne pour la sienne.
Votre musicien favori?
Varèse.
Sa forme est maintenant assimilée et dépassée par celle de certains de ses disciples et continuateurs (tel Stockhausen) mais, en plus de l'intérêt inépuisable que conservent ses objets musicaux par a la sensibilité de leur matière, il demeure exemplaire en tant que créateur incorruptible et d'une ténacité sans compromission.
Votre couleur préférée?
J'hésite entre l'ocre et l'orange.
Jeune, j'aimais le bleu, mais cette couleur me laisse de plus en plus indifférent.
La fleur?
Les fleurs, telles les femmes ont chacune leur unicité irremplaçable.
Choisissons, à colin-maillard, la violette.
Une pensée tardive le dicte aussi de faire un clin d'œil au tournesol.
L'oiseau?
Le condor.
C'est un oiseau de proie et il a une gueule et une prestance lucifériennes qui me reviennent.
Vos poètes préférés?
Il est impossible de ne pas mentionner Nerval, Baudelaire, Mallarmé, Rimbaud.
Mais j'ai un faible plus prononcé pour Lautréamont, pour Corbière, pour Cravan, pour Tzara, pour Artaud.
Vos auteurs favoris en prose?
Il y en a un fort grand nombre.
Je ne peux omettre Raymond Roussel parce qu'il a eu l'imagination la plus excentrique et la plus rigoureuse de ce siècle; je ne peux omettre Alfred Jarry parce qu'il a su se mouvoir à l'aise dans un impensable cocasse indissoluble du merveilleux; je ne peux omettre Franz Kafka parce qu'il a été un maître tenaillé de l'imaginaire et sachant maîtriser en se heurtant sur les meubles les tenailles de l'imaginaire. Si on a le droit de parler des dramaturges, qu'n me laisse tirer ma tuque jusqu'à terre devant Strindberg et Pirandello.
Et comment omettre Sade, Hugo, Balzac, Dostoïevski, Zola, Joyce, Cocteau, Crevel, Céline, Miller, Orwell, Beckett, Burroughs, Robbe-Grillet. Et beaucoup, beaucoup d'autres. Dont Hubert Aquin.
Vos noms favoris?
Je comprends (à tort ou à raison) qu'il s'agit de prénoms.
Disons Aube, Muriel, Monique, Frédérique, Bibiane, Sélysette, Suzelle, Arlette, Céline, Pulchérie, Antonin, Odilon, Tristan, Serge, Camille, Paul-Émile, Grégoire, Salvador, Adrien, Vincent.
Ce que vous détestez par dessus tout?
La perfidie.
J'ai en horreur les calculateurs, les exploiteurs, les tacticiens roués, les adeptes de l'extorsion, les arrivistes, les opportunistes, toutes les formes de l'inauthenticité.
Caractères historiques que vous méprisez le plus?
Républicain dans le sang, j'ai en exécration tous les rois et toutes les reines. Sans parler des dictateurs à toutes les sauces. J'abhorre Louis XIV; et que dire de la ganache de Louis XV, qui appartenait à une réalité trop décadente pour nous soustraite à l'occupation anglaise? Ce monarque très chrétien avant dépensé tant d'énergie à torturer Damien avec des raffinement chinois qu'il ne lui en restait plus pour défendre la Nouvelle-France.
Je ne saurais non plus cacher l'horripilation chronique provoquée chez moi par Lord Durham.
Le fait militaire que vous admirez le plus?
Je suis un antimilitariste déclaré. Je crois que les soldats sont les victimes de manipulateurs d'apparence humaine qui, bien à l'abri, se servent de ces victimes pour défendre leurs intérêts sordides.
Cependant, il peut exister des combattants révolutionnaires armés et j'ai une prédilection pour le héros Nestor Makhno qui était responsable des forces anarchistes en Ukraine; il participa très activement à la révolution russe en bon libertaire et on lui doit notamment l'échec du tsariste Denikine dont les armées blanches venaient de renverser le nouveau régime populaire.
La réforme que vous admirez le plus?
Est-elle un rêve palpable? Elle s'impose avec opiniâtreté. Ce serait l'abolition de toutes les censures ( surtout celle des livres et celle du cinéma).
Pour l'instant, vive le Danemark!
Le don de la nature que vous voudriez avoir?
J'aimerais posséder les possibilités athlétiques d'un surhomme. Il me plairait intensément d'exercer quelquefois la justice immanente par mes propres moyens.
Comment aimeriez-vous mourir?
Je me verrais, une mitrailleuse entre les mains, mourant pour une cause émancipatrice... mais il faudrait que ce fût une cause victorieuse.
Cette perspective étant improbable, je me vois mourant de vieillesse... entouré de sympathisants affectueux et moi-même encre assez vigoureux pour étonner par mon écriture les plus blasés.
État présent de votre esprit?
Je suis combattif, imaginatif, extravagant, téméraire, optimiste.
Votre devise?
Il me faut en inventer une : "Le fou du président vaut toujours mieux que le fou de la reine."
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